Alcool : dommages sociaux, abus et dépendance

2003 
Partie integrante de notre culture, de notre patrimoine et de nos traditions, laconsommation d’alcool accompagne tous les evenements festifs de la vie familialeet sociale.« A votre sante ! », disent, en trinquant, les convives autour de la table.Paradoxe pour un produit qui affecte la sante d’au moins 5 millions de personnesen France, parmi lesquelles 2 millions sont dependantes. Par ses effets deleteres sur le foie, le systeme cardiovasculaire, le systeme nerveux et le developpement decancers, l’alcoolisation chronique est responsable chaque annee de 23 000 deces,et la prise d’alcool de 2 700 deces sur la route. L’importance du probleme en termes de sante et de securite publiques n’est donc plus a demontrer.Ce n’est pourtant que tres recemment que l’alcool a pris sa place parmi lessubstances psychoactives considerees comme dangereuses du fait de ses effetspotentiellement severes. Ainsi, depuis 1999, les competences de la Mission interministerielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) ont ete etendues a l’ensemble des substances psychoactives licites au rang desquelles figure l’alcool, et un partenariat tres actif avec l’Inserm a permis le lancement de projets de recherches finances conjointement dans ce domaine.Parce que l’alcool affecte tous les organes, la recherche en alcoologie recouvrel’ensemble des disciplines medicales et scientifiques. L’Inserm contribue al’avancee des connaissances par une approche pluridisciplinaire qui associebiologie, neurobiologie, physiopathologie, genetique, sociologie, anthropologie,psychologie, et s’etend egalement a l’epidemiologie et au domaine des sciencessociales. Une vingtaine de laboratoires se consacrent a une thematique derecherche sur l’alcool, et notre Institut s’est engage depuis 2001, par une actionthematique concertee, a renforcer ce potentiel de recherche en apportant unsoutien financier a de nouveaux projets et en favorisant le travail en reseau desequipes. En tant que Directeur general, cet effort m’est apparu necessaire en regard du peu de travaux effectues en alcoologie en France.Depuis plusieurs annees, l’Inserm s’est dote d’une procedure d’expertise desconnaissances, dite expertise collective, qui permet d’apporter a nos partenairesune aide a la decision pour la mise en place d’actions en sante publique. L’analysecritique et la synthese des travaux de recherche au plan international par ungroupe pluridisciplinaire d’experts coordonne par l’Inserm permet de proposer desrecommandations fondees sur des connaissances scientifiquement validees. A cejour, plus d’une quarantaine d’expertises concernant la sante ont ete realisees.C’est a la demande conjointe de la Mildt, de la Cnamts et du Comite francaisd’education pour la sante (CFES, devenu l’Inpes) que l’Inserm a realise en 2001 unepremiere expertise collective sur l’alcool, qui a donne lieu a l’ouvrage intitule« Alcool. Effets sur la sante ». Cette expertise s’est attachee a evaluer les effets del’exposition a l’alcool au niveau des differents organes, son role dans le developpement de diverses affections (maladies cardiovasculaires, cancers, cirrhose du foie, anomalies fœtales{) et les avancees realisees dans la comprehension des mecanismes d’apparition de ces pathologies. Effets nefastes de l’alcool sur la sante mais aussi effets benefiques a petites doses selon certains travaux. C’est dire combien il est difficile d’etablir des doses-seuil pour les effets de l’alcool d’autant que l’expertise demontre la diversite des effets selon le sexe, l’âge, la corpulence, et les facteurs de risque associes comme par exemple une pathologie hepatique. Par ailleurs, l’expertise montre qu’il existe des differences inter-individuelles dans les effets de l’alcool sur la sante tenant aux modes de consommation, aux habitudes alimentaires et a des predispositions genetiques. Ainsi, il apparait indispensable de tenir compte de ces differents elements dans les campagnes d’information et de prevention. Le present ouvrage restitue les resultats d’une seconde expertise, engagee a la demande des trois memes partenaires, et porte sur les differents contextes d’usage de l’alcool, l’evolution des modes de consommation et les consequences collectives tant sociales qu’economiques de la consommation excessive d’alcool dans notre pays. Il presente egalement l’ensemble des donnees epidemiologiques, cliniques et experimentales sur l’abus et la dependance, leurs determinants et les traitements. Les experts mettent l’accent sur les differences entre les modes de consommation des jeunes et des adultes, des filles et des garcons. Ils soulignent l’importance de ces connaissances pour definir des strategies de prevention adaptees aux differentespopulations et aux differentes situations (conduite automobile, travail).De mieux en mieux compris, les mecanismes sous-tendant la dependance revelentdes similitudes entre les substances psychoactives, qui ont en commun d’activer des reseaux de neurones bien identifies. Pendant longtemps peu etudies, les facteurs genetiques de vulnerabilite a la dependance ouvrent de nouvelles perspectives.Si l’alcoologie clinique a souffert de la lenteur des progres dans la connaissance dudeterminisme de l’alcoolisation pathologique et de son traitement, elle a surtoutpâti pendant longtemps de la resistance des medecins a s’engager dans la prise encharge de cette pathologie. Cette expertise souligne en effet combien, encoreaujourd’hui, la prise en charge des patients presentant un probleme avec l’alcoolest limitee en France, puisque moins de 20 % de ces personnes consultent unprofessionnel de sante, et ceci generalement dix ans apres le debut des symptomes.C’est donc la que se situe le vrai probleme de sante publique qui, pour evoluer,appelle un changement conceptuel et organisationnel des pratiques medicales.Dans ce contexte, je souhaite apporter un soutien institutionnel aux equipes derecherche en medecine generale et promouvoir la mise en place de reseaux demedecins plus particulierement sensibilises a la prise en charge des patients ayantun probleme avec l’alcool.Il me semble essentiel de faire passer le message que l’alcoolodependance est unemaladie qui se soigne. Organisees par l’Anaes, deux conferences de consensus, sur les modalites du sevrage en alcoologie (1999) et sur les modalites de l’accompagnement du sujet alcoolodependant apres un sevrage (2001), ont apporte des elements de reference pour les soignants. En recherche clinique, des progres restent a faire pour mieux adapter le traitement au profil de chaque patient. Si des raisons biologiques peuvent expliquer l’inegalite des personnes devant l’alcool, les facteurs psychologiques et socioculturels sont loin d’etre negligeables. Apprehender l’alcoolodependance dans sa complexite pour mieux la prevenir et la soigner, tel est bien l’enjeu des actions a venir. Les deux ouvrages consacres a l’alcool rassemblent une somme importante de connaissances qui devrait fournir aux pouvoirs publics des arguments essentiels pour engager des actions en sante publique et egalement servir de levier au developpement de travaux de recherche dans notre Institut. Je remercie les scientifiques qui ont contribue a ce travail collectif de grande valeur.
    • Correction
    • Source
    • Cite
    • Save
    • Machine Reading By IdeaReader
    0
    References
    11
    Citations
    NaN
    KQI
    []