La recherche biomédicale en Suisse : espace social, discours et pratiques

2014 
Cette etude porte sur la recherche biomedicale en Suisse dans une perspective interpretative. Elle s'interesse a l'usage que font les acteurs scientifiques et institutionnels de la categorie «biomedical», a la signification qu'ils en donnent et aux processus de structuration de la recherche biomedicale autour de ces enjeux de categorisation. Nous avons formule l'hypothese que le «biomedical» pouvait etre considere comme un label, a savoir une strategie discursive de positionnement des acteurs, ou pouvait constituer un champ, a savoir un espace social de recherche fortement structure. Pour pouvoir verifier la validite de ces hypotheses, trois perspectives analytiques ont ete retenues: topographie, discours et pratiques. Dans un premier temps, nous avons etabli une topographie de la recherche biomedicale en reperant les acteurs (et leur appartenance disciplinaire) et les institutions qui s'associent au terme «biomedical», que ce soit pour decrire des institutions ou des projets de recherche. Les resultats de cette analyse offrent une premiere approximation d'un espace de la recherche en donnant une image d'un domaine peu unifie. Ainsi, l'usage de la categorie «biomedical» dans les projets des chercheurs n'est pas le fait des seuls medecins et biologistes, mais egalement de representants d'autres disciplines. La physique, la chimie et les sciences de l'ingenieur occupent ainsi egalement une place tres importante dans cet espace de recherche. Puis, dans une perspective discursive, nous avons analyse le «biomedical» non seulement comme un label, mais egalement comme un objet-frontiere permettant d'articuler differentes significations, de produire du sens la ou des univers de recherche pourraient s'opposer, ou a coordonner des politiques qui ne l'etaient pas. L'analyse des differentes definitions du «biomedical» nous a confirme l'existence d'un espace social marque par une grande diversite disciplinaire, toutefois articule autour d'un coeur medical et, plus particulierement, d'une application medicale (potentielle ou actuelle). De plus, il ne semble pas y avoir de profondes luttes pour l'etablissement de limites claires au «biomedical». Finalement, nous avons etudie les differentes activites de la production des savoirs (carrieres, financement, collaboration, publication, etc.). Cette analyse a permis de comprendre que la diversite des definitions et des significations que les acteurs attribuent a la categorie «biomedical» a aussi un ancrage dans la materialite des reseaux sociotechniques dans lesquels les chercheurs s'inscrivent. Ces elements confirment l'idee d'une fragmentation et d'une heterogeneite de l'espace de la recherche biomedicale. En depit de cette fragmentation, nous avons egalement montre que differentes mesures et instruments d'action publique visant a organiser et reguler les pratiques des chercheurs sont mis en oeuvre. Neanmoins et paradoxalement, la recherche biomedicale ne constitue pas pour autant un objet de politique scientifique aborde par les autorites politiques, en tous les cas pas sous l'angle de la categorie «biomedical». Ces differents niveaux d'analyse ont permis d'arriver a la conclusion que la categorie «biomedical» n'est pas suffisamment institutionnalisee et que le degre d'interaction entre l'ensemble des chercheurs qui en font usage est trop faible pour que l'on puisse considerer le «biomedical» comme un espace social fortement organise et structure, a savoir un champ de la recherche biomedicale. Cela est principalement lie au fait que les acteurs ne partagent pas les memes definitions de ce qu'est (ou devrait etre) le «biomedical», que leurs pratiques de recherche s'inscrivent dans des univers relativement separes, et que cette diversite ne donne pas lieu a de fortes luttes pour l'imposition d'une definition legitime ou de normes d'excellence scientifiques dominantes. Par contre, les analyses ont permis de confirmer la validite du «biomedical» comme label, puisque les acteurs se servent de cette categorie pour valoriser leurs pratiques de recherche et se positionner, meme si d'autres notions ont emerge ces dernieres annees («translationnel», «biotech», «medtech», medecine personnalisee, etc.). On peut, in fine, considerer le «biomedical» comme un probable langage commun («objet-frontiere») reposant tant sur la scientificisation du medical que sur la medicalisation des sciences («de base» et «techniques »), visant a ameliorer les conditions de possibilite d'un dialogue fructueux entre chercheurs fondamentaux et cliniciens.
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