Réseaux d'échanges, processus de transmission et identités sociales. Les traditions techniques de la céramique de la région des Trois-Lacs et ses marges (3600-3000 avant notre ère)

En Europe de l'ouest, la deuxieme moitie du IVe millenaire est une periode charniere. La transition entre la fin du Neolithique moyen II et le Neolithique recent est marquee notamment par le developpement des sepultures collectives, mais aussi par d'importantes innovations techniques comme l'apparition de la roue et de la traction animale, l'emergence de la premiere metallurgie du cuivre en plusieurs points, le developpement du tissage et l'appauvrissement du repertoire morphologique des poteries. Sur l'ensemble du Plateau suisse, cette phase est caracterisee par la fin des cultures du Neolithique moyen (Cortaillod et Pfyn) vers 3550 av. n. e., et l'emergence du Horgen oriental et occidental apres 3250 av. n. e. La transition entre ces deux phases est aujourd'hui mieux documentee grâce a des ensembles de type Port-Conty dans la region des Trois-Lacs, et Pfyn/Horgen dans le secteur du Lac de Constance, dates vers 3400 av. n. e. Ces changements sont sans doute symptomatiques de reelles modifications socio-culturelles, qui restent encore largement a definir. La question du substrat culturel a l'origine du Horgen a suscite plusieurs hypotheses, dont celle d'une influence occidentale de la culture du Seine-Oise-Marne, ou celle d'une diffusion orientale au moins partiellement originaire du Lengyel. Or, la recherche d'une origine exogene doit etre questionnee. Quelle est la part des substrats locaux dans la mise en place du Horgen ? Les changements identifies sur le Plateau suisse peuvent-ils etre mis en perspective de l'emergence du Neolithique recent dans d'autres secteurs, comme le Bassin parisient ? Nous proposons de reprendre ces questions par l'etude technologique des productions ceramiques en 3650 et 3000 av. n. e. dans la region des Trois-Lacs et ses marges. En effet, l'excellente resolution chronologique des habitats lacustres, dates par dendrochronologie, permet de travailler a l'echelle d'une generation humaine, parfois a l'annee pres. Ils constituent des contextes archeologiques parfaitement adaptes a un tel projet de recherche. Selon le modele des societes traditionnelles, largement confirme par les nombreuses etudes ethnoarcheologiques, les traditions techniques sont le reflet d'entites sociales qui devaient faire sens pour les populations neolithiques. Afin de les distinguer, il est necessaire de reconstituer les chaines operatoires qui permettent de discerner les differentes habitudes des potiers. Ce travail s'est particulierement interesse au faconnage des fonds et de la panse des recipients. En effet, les techniques mises en oeuvre pour cette sequence de la chaine operatoire etant invisibles sur le produit fini, les potiers n'ont pas de raison de changer les habitudes acquises lors de leur apprentissage, meme s'ils changent de communaute et qu'ils doivent alors s'adapter a de nouvelles normes stylistiques et morphologiques. Pour ce corpus, c'est le faconnage des fonds qui semble le plus pertinent pour proposer une restitution, au moins partielle, des identites techniques. En effet, cette sequence de la chaine operatoire a montre une grande diversite dans les techniques utilisees, et ce sans correlation directe avec les morphologies ceramiques. L'analyse proposee ici a donc permis de confirmer l'existence de reseaux d'echanges, avec parfois l'identification de contacts directs. Elle a aussi permis de proposer des frontieres techniques limitant l'aire de repartition de l'une ou l'autre des traditions techniques, et dont la position et le role semblent avoir change au cours du temps. En effet, l'etude detaillee de ces corpus a permis de caracteriser le phenomene de transmission, que ce soit a l'echelle individuelle avec l'identification de vases d'apprentissage, ou collectif et sur le temps avec la transmission ou l'abandon de techniques sur plusieurs siecles.