L'art contemporain martiniquais de 1939 à nos jours : la naissance d'une histoire de l'art dans un contexte postcolonial

2009 
En 1943, Rene Hibran artiste francais recemment emigre en Martinique affirme que dans l’ile « il n’y a pas d’art local ou si peu, si reduit dans ses manifestations ! ». Deja quatre ans plus tot, le pere Delawarde, faisait le meme constat. Pourtant, en 2009, le monde de l’art s’est considerablement developpe. Une esthetique specifique s’est constituee loin de l’academisme occidental, l’expression plastique ne cesse de s’etoffer. Des lieux de diffusion se sont ouverts et proposent des expositions de qualite. Un discours scientifique se construit legitimant la production locale. La transmission est, en outre assuree grâce notamment a des ecoles, dont l’Institut Regional d’Arts Visuels de la Martinique (IRAVM). Notre these s’attache a expliquer comment une telle evolution est possible compte tenu d’un contexte difficile subissant encore les affres du postcolonialisme. Nous postulons donc que le dispositif « histoire de l’art » s’est largement developpe en soixante-dix ans. Influence par le contexte postcolonial qui impose une resistance, par un monde litteraire qui initie la quete d’une expression identitaire singuliere, l’art martiniquais est aussi tributaire de l’engagement de ses acteurs, et notamment d’artistes meneurs. Notre these s’appuie donc sur une vision sociale de l’art. Nous considerons notamment le monde de l’art comme un dispositif « histoire de l’art », c'est-a-dire un ensemble de quatre elements correlatifs : la production, la diffusion, la transmission et la legitimation. Une premiere periode s’etalant de 1939 – debut de la Seconde Guerre mondiale – a 1956 – premier bilan de la departementalisation – permet de poser les bases de ce dispositif. Durant le conflit mondial, la Martinique endure la politique raciste et repressif de l’Amiral Robert, le representant de Vichy aux Antilles, ainsi qu’un blocus aggravant une situation economique deja precaire. L’attachement a la metropole se complexifie. Entre fidelite et desillusion, un nouveau statut s’impose. En 1946, la Martinique devient un departement francais d’outre-mer. D’un point de vue culturel aussi la situation evolue. Deja dans les annees 1930, une serie de publications d’etudiants noirs a Paris remet en cause l’assimilation coloniale : Legitime Defense, en 1932, L’etudiant Noir, en 1936 ou Aime Cesaire parle pour la premiere fois de Negritude. La Martinique qui, jusque-la, n’avait regarde que vers la France hexagonale se tourne vers un nouveau centre : l’Afrique, et decouvre une nouvelle facette de son identite. Les arts plastiques essuient ce bouleversement. Le conflit mondial fait de l’ile, une terre de refuge, ou une escale, pour les intellectuels fuyant l’Europe nazie : Andre Breton, Claude Levi-Strauss ou l’artiste cubain Wifredo Lam y font ainsi des sejours plus ou moins longs. D’autres artistes moins celebres debarquent. Ils inaugurent des ateliers ouverts a tous et importent une vision de l’art inedite dans l’ile. Avec eux, l’art n’est plus une activite oisive pour la jeune bourgeoisie, mais un lieu d’expression. Des lors, des artistes locaux emergent, des artistes qui souhaitent exprimer l’identite nouvelle que les litteraires ont detectee. Ils sement les bases de l’histoire de l’art de l’ile. En effet, ils ne se contentent pas de creer, mais s’investissent dans toutes les instances du dispositif. En 1956, le depute maire de Fort-de-France, Cesaire, demissionne du Parti Communiste Francais, decu par les exactions du stalinisme et l’incapacite du PCF a combattre le postcolonialisme. Cette demission amorce une longue periode de lutte contre le postcolonialisme. La Martinique est touchee par une crise sociale et economique, la departementalisation a decu. En outre, certains pieds-noirs arrives des pays du Maghreb nouvellement independants et certains CRS ne cachent pas leur mepris pour les populations noires. La situation est de plus en plus tendue et de violents conflits eclatent. Pour eviter que les conditions ne se deteriorent – le spectre de l’Algerie est bien present –, la France instaure une politique de repression et de migration. L’objectif est de faire taire toute resistance et de vider le pays de sa jeunesse, jeunesse qui est souvent a l’origine des emeutes. Mais cette repression ne fait qu’attiser la resistance qui s’organise d’abord dans le monde politique, puis dans des associations. Progressivement le fait national est reconnu. Si la Martinique est une nation, il lui faut une nouvelle identite. Les reflexions d’auteurs comme Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau, Raphael Confiant et Jean Bernabe vont alimenter cette quete identitaire. L’evolution de la commemoration de l’abolition de l’esclavage de 1848 participe aussi a la formation d’un peuple martiniquais acteur de son histoire passee et a venir. Les artistes se nourrissent de ces multiples considerations. L’Ecole Negro-Caraibe propose une esthetique caribeenne riche de l’importance de ses soubassements africains. Le groupe Fwomaje se concentre sur toutes les racines fondant l’arriere-pays culturel de l’ile : l’Europe, l’Afrique, l’Amerique et l’Asie. Des artistes independants s’inscrivent aussi dans cette quete d’une identite et d’une esthetique l’exprimant. Parallelement, le dispositif aussi se construit. Un discours universitaire s’elabore. Les institutions culturelles se multiplient et ce, d’autant plus que la culture devient un enjeu politique majeur.
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