Les dynamiques de l’islam dans les lieux de l’enseignement supérieur au Sénégal

2019 
Depuis la fin des annees 1980, les mouvements religieux, musulmans pour la plupart, sont particulierement visibles dans les spheres politiques senegalaises mais aussi au sein des differents etablissements d’enseignement superieur. Autrefois caracterises par la presence du militantisme politique de gauche, les milieux universitaires sont aujourd’hui occupes par les croyants. Les jeunes disciples mourides ou tidjianes, ou encore sunites, emplissent les differents espaces au sein du campus, ou ils organisent conferences islamiques, cours de Coran et seances de priere. En outre, un secteur d’enseignement islamique prive emerge en dehors des universites laiques. Basee sur un travail de terrain de longue duree (2003-2009 puis 2010-2015), notre etude vise a mettre en lumiere ces differentes dynamiques religieuses au sein des lieux d’enseignement superieur, que ce soient les universites laiques ou les etablissements islamiques. Cette these s’articule en deux parties : la premiere consiste a etudier la construction historique des differentes figures de lettres musulmans et leurs lieux de savoirs-pouvoirs au Senegal ; la deuxieme analyse la vie religieuse des « etudiants musulmans » d’aujourd’hui, ainsi que leurs spheres d’expression a la fois academique et religieuse. Notre analyse sur la transformation des figures de lettres musulmans, depuis un demi-siecle, montre que la nouvelle generation se compose davantage d’individus issus de la classe populaire, a la difference de l’ancienne generation des annees 1960 et 1970, regroupant surtout des militants des ideologies de gauche et des membres de l’elite universitaire ou religieuse. Les nouveaux types de mouvements religieux adoptent une forme ideologique conforme aux exigences et aux aspirations de la jeunesse senegalaise urbaine, plus liberale et a la recherche d’autonomie par rapport aux normes sociales et politiques fondees par la generation precedente – intellectuels francophones ou « ku jang ekool » –. Ce travail met en exergue l’importance des nouveaux types de mouvements politico-religieux dans le contexte de la crise ideologique et sociopolitique des annees 1980 et 1990, puis de l’arrivee du liberalisme politique et l’emergence de spheres politiques populaires dans les annees 2000. Ce qui rassemble ces deux generations de militants, politiques et/ou religieux, est ce que nous avons appele l’« energie societale » : ils sont en effet les producteurs et les porteurs d’un modele et d’une theorie qui repondent a la crise du monde, en meme temps que les transformateurs de la societe. Les nouveaux mouvements religieux proposent aux fideles des lieux d’epanouissement qui les conduisent a participer au developpement de la societe, tout en s’appuyant sur les valeurs de l’islam. Nous avons demontre, ensuite, la diversite et la transversalite de ces jeunes musulmans, veritables producteurs de dynamiques sociales et politiques. Nous nous sommes interessee au parcours de chaque categorie de croyants ainsi qu’a leurs liens avec leurs environnements socioculturels : universite, foyers religieux ou ecoles d’enseignement de l’arabe et de l’islam. Il existe aujourd’hui en effet une grande disparite quant a la maniere d’etre musulman. Aussi, ces jeunes croyants sont tres flexibles dans leur facon d’interpreter la religion et naviguent entre differentes spheres et valeurs, en l’occurrence l’islam normatif, le spiritualisme soufi, la modernite occidentale et la culture traditionnelle senegalaise. Nos descriptions et analyses ont montre comment ils vivent leurs religiosites, en s’appuyant sur leurs propres valeurs de l’islam, et a travers un engagement corporel et spatial « flexible » au sein de l’universite ou bien en dehors de celle-ci. Ces musulmans lettres que nous avons qualifies d’« hybrides » et d’« hypermodernes » creent eux-memes leurs propres lieux d’expression a la fois academique et politique, independamment des etablissements d’enseignement laics. Des lieux devenus aujourd’hui de veritables espaces de savoirs-pouvoirs : bibliotheques et mediatheques islamiques ; centres de recherche et d’enseignement religieux ; centres de conferences ; ecoles de formation ; medias religieux (radios, televisions, revues…), sites internet, reseaux sociaux et autres applications mobiles performantes, etc. En plus de s’autofinancer, ils restent connectes au monde academique et politique transnational, ils imposent egalement leurs normes et valeurs a travers l’espace national. De meme, ils sont tout a fait disposes a accueillir des publics non avertis, ils s’adaptent, si necessaire, aux valeurs du monde moderne et occidental afin de rendre leurs messages recevables par des personnes exterieures. Enfin, etant capables de produire eux-memes des analyses performantes sur la societe en s’appuyant sur les valeurs et les preceptes islamiques, ces lieux et ces lettres religieux interrogent la legitimite du savoir scientifique fonde dans les milieux academiques de type occidental. En somme, cette etude consiste en une demonstration des dynamiques de l’islam au sein de la jeunesse senegalaise capable de remettre en cause, a terme, nos propres valeurs et savoirs universitaires.
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