Littérature et condition paysanne: La Vie d'un simple, d'Emile Guillaumin (1904)

1976 
Aux questions que se posent les sociologues de la litterature et certains theoriciens du « discours social » ou « de la socialite de recriture1 » : « Qui sait ecrire pour le peuple ? qu 'est-ce qui est lisible pour le peuple ? ou bien comment decrire la condition du peuple ? comment faire vrai, pour que le pacte initial et tacite passe entre ecrivain et lecteur ne soit pas leurre ou escroquerie (reciproques) ?» a ces ques; tions la reponse n'est sans doute pas theorique. Il y a plutot des reponses historiques, apportees dans des conditions donnees, et peut-etre determinees, par certains producteurs de litterature (ce mot, faute de mieux) populaire. Mais encore ce dernier adjectif est-il ambigu. Il peut s'entendre de ceux que Michel Ragon a appeles les Ecrivains du peuple2, mais aussi de ce que le peuple juge lisible, parmi l'imprime mis a sa disposition, de preference a une autre forme de litterature. Or, il se trouve que, dans les pays de l'Europe occidentale, une certaine presse, vivant du scandale, du sensationnel ou du mensonge tout court a propos de la vie intime des princes et princesses encore de ce monde, des vedettes de la chanson ou du cinema et des milliardaires qui epousent des veuves d'hommes d'Etat, peut etre regarde, statistiquement, comme la litterature populaire la plus repandue et la plus achetee. Les tirages de certains hebdomadaires disent l'ampleur de consommation de ce nouvel opium occidental, poison qui, comme l'ecrivait Ragon en 1947, « empeche tant de nos camarades de vivre, de penser et de lutter ». Sans doute ces fabricants ont-ils l'habitude de considerer le peuple comme un ensemble de ruminants paisibles qui sont la pour porter le joug, digerer, dormir et aussi, parfois, aller docilement a l'abattoir des guerres economiques, exaltees, par la meme presse, comme guerres de la liberte. La liberte de qui? Il existe, dira-t-on, une autre litterature populaire; celle par exemple qui dit la condition du peuple, de l'ouvrier et du paysan : les Goncourt, Zola, Balzac et la longue tradition du roman rustique qu'illustre George Sand. Mais, chez beaucoup d'ecrivains rustiques, plus parisiens que vrais temoins ou victimes, le genre tire toujours, en plus ou moins, ses effets et sa morale idealisante de la tradition europeenne de la pastorale ou de l'eglogue. Il y a donc la dedoublement entre l'ecrivain et son livre, divorce entre l'ouvrier du texte et l'ouvrier lecteur. Et ce dedoublement
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