La direction de conscience au XIXe siècle (France, 1850-1914) Contribution à l'histoire du genre et du fait religieux

2017 
La direction de conscience est une pratique qui connait un nouveau succes en France dans les premieres decennies du XIXe siecle. Elle met en scene un directeur de conscience qui donne des conseils a une personne dirigee, dans le but de l’aider a progresser dans sa vie morale et spirituelle. Cet echange est oral ou epistolaire, et concerne des thematiques variees : la famille, la vie quotidienne, les pratiques de piete, les lectures. Cette these mobilise les correspondances « de direction » pour comprendre la facon dont cette pratique de soi faconne les subjectivites des personnes et leur perception des roles de genre. Cette recherche s’inscrit ainsi dans plusieurs champs : histoire des femmes et du genre, histoire du fait religieux, histoire de la famille et des sexualites. Elle interroge ces differentes historiographies en analysant les conversations confidentielles, protegees par le secret spirituel, qui se deploient dans la direction de conscience. L’historiographie de l’histoire des femmes et du fait religieux a beaucoup insiste sur la « feminisation du catholicisme » au XIXe siecle. Ce motif historiographique est aujourd’hui revisite et approfondi, et les lettres de direction apportent de nombreux eclairages. L’Eglise prend acte de la repartition differenciee des roles de genre dans la famille pour developper une strategie fondee sur les meres et epouses. Ces dernieres sont invitees a se comporter comme des missionnaires dans leur famille et a convertir leurs enfants et leurs maris. Les directeurs guident cette reconquete de la societe de l’interieur. Cependant, la direction de conscience n’est pas seulement la courroie de transmission du projet pastoral de l’Eglise : les femmes dirigees en profitent pour amenager des espaces de discussion des normes de genre. Cette mission de conversion se transforme alors en discours de contestation du pouvoir excessif des maris et des peres. De meme, elles obtiennent le droit d’ecrire et de publier des ouvrages lorsqu’elles parviennent a convaincre leur directeur que leur objectif est de participer a la reconquete des âmes. Pour saisir ce dialogue entre directeur et femmes dirigees, il convient d’adopter une approche intersectionnelle qui pretre attention au poids des capitaux economiques detenus par ces femmes des elites. En effet, le rapport de force peut etre defavorable au directeur lorsque ses projets dependent des subsides charitables accordes par les dirigees. La « feminisation » des pratiques catholiques s’explique par les ressources que les femmes peuvent trouver dans la pratique religieuse au sens large, ressources bien identifiables dans les lettres de direction : le droit d’ecrire, de parler de soi, de denoncer les contraintes domestiques, d’echapper au poids des convenances. En retour, a bien observer les lettres de direction des hommes diriges, on comprend que des pratiques catholiques trop visibles constituent une menace pour la reputation ; les consequences peuvent etre professionnelles (etre ecarte de certains postes) et meme identitaires : ne plus etre percu « comme un homme » professant autonomie et independance. Le deuxieme apport principal de ce travail concerne l’histoire de la famille, du couple et des sexualites. Les echanges de direction, proteges par le secret, donnent a lire l’intimite des foyers et des chambres conjugales. On y decouvre la facon dont les femmes dirigees percoivent et subissent la sexualite conjugale et les strategies qu’elles tentent de mettre en place pour y echapper : solliciter l’intervention du directeur de conscience aupres du mari. Face a cela, les directeurs sont la pour rappeler le dogme de l’Eglise catholique en matiere de procreation, et se heurtent a la fin du siecle a des resistances de plus en plus affirmees de la part de dirige•es qui souhaitent limiter les naissances. Jusqu’a la fin du siecle cependant, le directeur de conscience apparait comme un mediateur incontournable de ces couples catholiques des elites qui le consultent en cas de conflits conjugaux ou familiaux. Du cote de l’histoire des representations de la famille cette fois, les attaques anticlericales menees contre la direction de conscience revelent les craintes liees a l’organisation des rapports de genre de la societe post-revolutionnaire. Le Code Civil de 1804 enracine le pouvoir des maris sur leurs femmes et la necessaire soumission de ces dernieres : le mari est le roi dans son foyer. Dans ce contexte, le directeur de conscience est une figure dangereuse car il ne s’inscrit par dans un ordre de genre fonde sur le mariage et la famille. On l’accuse de miner l’autorite du mari. Une approche de genre est ainsi fondamentale pour comprendre les soubassements theoriques de la vigueur de l’anticlericalisme en France a cette periode. Au total, ce travail invite a relire l’articulation entre genre et catholicisme, a identifier les espaces de construction des subjectivites offerts par le dialogue avec le directeur au XIXe siecle, entre rappel permanent des normes et possibilite de les amenager, de les saper de l’interieur. Cette pratique spirituelle de soi, fondee sur l’ecriture, ouvre un espace d’agentivite. La notion de genre ainsi permet d’eclairer tout a la fois les rapports de force (directeur/dirige•es, mari/femme), les usages strategiques des roles (s’appuyer sur les meres pour convertir une societe), les motivations sociales des pratiques religieuses.
    • Correction
    • Source
    • Cite
    • Save
    • Machine Reading By IdeaReader
    0
    References
    0
    Citations
    NaN
    KQI
    []