L’humour : son apport dans la frontière entre humanité et technicité en santé

2017 
Introduction: Contexte. Le role du soignant se transmet au travers de deux dimensions : l’une dans le domaine de l’action – le faire soin, l’autre dans le domaine de la perception – le prendre soin. La demarche soignante consiste donc a associer l’aspect technique du soin aux qualites humaines du professionnel de sante. Quotidiennement confronte a l’omnipresence de la technique au sein de sa profession, le manipulateur en electroradiologie medicale (M.E.R.) se pose comme une figure majeure de la dichotomie entre humanite et technicite en sante. Une relation soignant-soigne optimale, c’est une relation d’aide authentique, sans rapport hierarchique, visant aussi bien a donner qu’a recevoir. C’est dans cette optique d’un professionnel de sante congruent, coherent avec sa propre personnalite, que la pratique de l’humour dans les soins peut etre envisagee afin de personnaliser le soin prodigue. Cet outil de communication represente un veritable langage universel, bâtisseur de relations humaines, base sur la confiance et l’authenticite. Une technique de distraction indispensable pour detourner le patient de ses preoccupations premieres de telle maniere a ce qu’il soit plus cooperant dans les soins et plus a meme de les realiser : « Rien ne desarme comme le rire » resume la pensee bergsonienne. Le rire constitue un exercice musculaire, ameliore la respiration, stimule le systeme cardio-vasculaire, facilite la digestion, soulage la douleur et ameliore meme les facultes intellectuelles. De ces nombreux bienfaits biophysiologiques decoule la gelotherapie ou « therapie par le rire ». Cette derniere vise a contribuer a notre bien-etre en instaurant un bonheur individuel et social. L’humour est ainsi une experience cognitive, alors que le rire est un comportement, une experience physique et physiologique. Deux experiences vivifiantes qui temoignent de la necessite de reintroduire la joie dans tous les espaces de la vie quotidienne et, a fortiori, de conduire a davantage de gaiete dans l’environnement aseptise des etablissements de sante. Objectifs. Mettre en lumiere la necessite d’introduire l’humour au sein de l’environnement technique du metier de M.E.R. Pour cela, nous evaluerons a la fois les fonctions positives et negatives de l’humour aupres du patient mais aussi du soignant. Par la suite, nous comparerons l’opinion concrete que les professionnels ont sur le recours a l’humour dans leur exercice quotidien, avec l’opinion abstraite que les etudiants ont quant a l’usage de l’humour dans leur pratique future. Enfin, nous recueillerons a la fois les attitudes des soignants et des etudiants M.E.R. envers la mise en place d’une formation, initiale ou continue, a l’humour. L’enjeu etant d’apporter davantage d’humanisme dans les soins par l’humour et le rire. Methode: Population. Mille cinquante-deux personnes ont participe a cette etude, dont 641 soignants M.E.R. et 411 etudiants. Tous les M.E.R. diplomes de France metropolitaine et d’outre-mer exercant en radiologie conventionnelle, en radiologie interventionnelle, en scanographie, en remnographie, en medecine nucleaire ou en radiotherapie, ont ete invites a participer. De meme, les etudiants M.E.R. de premiere, deuxieme et troisieme annee, postulants au diplome d'etat de manipulateur d'electroradiologie medicale (DE MERM) – delivre par le Ministere des Affaires sociales et de la Sante – ou au diplome de technicien superieur en imagerie medicale et radiologie therapeutique (DTS IMRT) – delivre par le Ministere de l’Enseignement Superieur et de la Recherche – ont ete sollicites. Outils. Cette etude mixte, menee de novembre 2015 a fevrier 2016, repose sur une premiere phase de recherche quantitative par questionnaires a questions fermees, et sur une seconde phase qualitative par questionnaires a questions ouvertes. Les questionnaires ont ete crees dans le cadre de cette etude, sur la base de la revue de la litterature existante abordant la place de l’humour dans la relation soignant-soigne. La methodologie quantitative comprenait un questionnaire « soignant » et un questionnaire « etudiant » sous forme de questions de type Likert et divises en trois parties : presentation de l’enquete par recueil des caracteristiques sociodemographiques (sexe, âge, niveau d’etudes) ; evaluation de la pratique de l’humour au travail (fonctions positives, fonctions negatives, perception de l’humour comme valeur) ; et attitudes envers une formation a la pratique de l’humour (possibilite, interet, pertinence). La distribution de ce questionnaire s’est faite numeriquement aupres de plusieurs centres hospitaliers et cliniques de France metropolitaine et d’outre-mer. L’analyse statistique des donnees quantitatives a ete realisee avec le logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS.23.0), a travers l’utilisation des tests parametriques MANOVA, ANOVA, t de Student. La methodologie qualitative comprenait quant a elle un questionnaire de 20 questions ouvertes, adresse uniquement aux M.E.R. soignants car necessitant un minimum d’experience professionnelle afin d’etre pertinent dans les reponses attendues. Ce complement d’enquete a destination des professionnels etait divise en cinq parties : presentation de l’enquete, estimation de la relation qu’ont les participants avec l’humour, evaluation de l’humour aupres des patients puis des soignants, et prise de position sur un apprentissage a l’humour. Une analyse de contenu thematique a ete realisee apres recueil du verbatim des participants, permettant de faire emerger et d’explorer les principales fonctions de l’humour dans le soin. Resultats: Les etudiants M.E.R. evoquent davantage les bienfaits de l’humour au travers du patient : etablir une relation de confiance (F=9.23, p<.01, η² =.009), distraire lors d’actes de soins intimes/invasifs (F=9.01, p<.01, η² =.009) et aplanir la hierarchie (F=3.46, p<.10, η² =.003). Les soignants M.E.R. rapportent principalement des benefices du point de vue de leurs collegues ou de leur propre personne : instaurer une bonne ambiance au travail (F=13.89, p<.001, η² =.013) et constituer une strategie de coping en tant que mecanisme de defense face au stress du quotidien (F=3.29, p<.10, η² =.003). Lors de la seconde phase qualitative, la majorite des repondants ont mis en evidence l’humour en tant que moyen therapeutique, il ne s’agit guere d’une fin en soi. Ainsi, l’effet therapeutique de l’humour ne semble pas direct mais fonctionne au travers du mental du patient et de sa capacite a affronter la maladie. Selon les participants, on ne se guerit pas par le rire mais on adopte une attitude positive qui nous conduit sur le chemin de la guerison. En ce qui concerne le fait de considerer l’humour comme inapproprie (F=4.59, p<.05, η² =.004), indigne (F=14.76, p<.001, η² =.014), ou temoignant du deni des souffrances du patient (F=17.22, p<.001, η² =.016), les soignants evoquent moins d’effets negatifs que les etudiants. Neanmoins, les professionnels mettent en garde sur l’importance de l’aspect contextuel de l’humour et de son risque a porter atteinte au patient. L’analyse de contenu thematique a permis de mettre en evidence cette signification de l’humour differente selon les participants. On retrouve des mots elogieux tels que « sourire », « rire », « joie », « bien-etre », « partage », « humanite » et « communication » ; mais aussi des termes davantage reprobateurs comme « derision » ou « moquerie ». Certains participants pointent du doigt toute la complexite a utiliser l'humour, a la fois comme emotion et perception ; l'idee etant de ne pas « porter prejudice a autrui ». Si les deux groupes jugent l’humour en tant que valeur personnelle (F=0.01, p=0.906, η² =.000), les soignants attribuent davantage de consideration a l’humour dans le contexte professionnel que les etudiants (F=30.38, p<.001, η² =.028). En effet, alors que l’individu est parfois submerge d’emotions negatives, faire de l’humour sa propre valeur revient a percevoir la vie sous un autre angle, moins prosaique et davantage humaniste. Ainsi, comme le rapporte le verbatim des professionnels, pratiquer l'humour dans un service de sante semble etre un element essentiel pour ameliorer productivite et motivation au quotidien. En considerant l’humour comme inne, une formation parait difficilement envisageable. Cependant, les participants evoquant l’humour comme acquis jugent possible la mise en place d’une formation continue : ce serait par l’experience et les situations de vie que l’on apprendrait a manier cet outil. Que cela soit pour ameliorer la prise en charge des patients, perfectionner nos pratiques, echanger notre experience avec d’autres professionnels de sante, tenter de vaincre sa timidite avec les patients, ou bien tout simplement par curiosite, la question d’une hypothetique formation a l’humour ne semble pas anodine. Par ailleurs, les etudiants considerent qu’une formation initiale serait davantage pertinente compares aux soignants (F=27.24, p Discussion: En sollicitant la categorie des M.E.R., nous nous sommes attardes sur la necessite d’instaurer l’humour dans la frontiere entre l’individu humain et l’environnement technique du metier. Professionnels et etudiants jugent l’humour a la fois benefique dans leur relation avec le patient, mais aussi pour eux-memes. Une valeur personnelle et professionnelle a mettre en pratique qui doit etre employee a la suite d’un jugement clinique pertinent du patient et de la situation afin d’eviter une mauvaise utilisation de cet outil. Cette complexite de l’humour et ses effets negatifs possibles nous ont conduits a evoquer la mise en place d’une formation a l’humour, en initial ou en continu, de maniere a ameliorer la prise en charge therapeutique des patients ou developper son epanouissement personnel.
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